Cet article est extrait du Catalogue de l'Exposition :

Souffler c'est Jouer. Chabretaires et Cornemuses à miroirs en Limousin (Modal Editions / CRMTL, 1999)

Pour commander le Catalogue cliquez ici

REVENIR à SAINT - YRIEIX
Eric Montbel

 

Saint-Yrieix-la-Perche : en 1977, lorsque nous courrions les routes à la recherche de la chabrette rêvée, c'est par un ami musicien que nous avons appris un "tuyau" formidable : une chabrette ancienne était accrochée à un mur, dans un café de Saint-Yrieix nommé "la Taverne". La surprise fut de taille : la chabrette en question portait deux hautbois parallèles... Le propriétaire fut contacté : c'est lui qui avait monté l'instrument de cette manière un peu fantaisiste. Mais il possédait une autre chabrette en parfait état, que nous avons découverte avec fascination: beau boîtier recouvert de nombreux miroirs, belle couleur blonde et chaude, beaucoup d'unité de style... A coup sûr il , y avait là quelque chose de particulier. Les instruments provenaient de deux anciens chabretaires de la ville, Lauret et Buisson. C'est dans ce même café, un soir de fête, qu'un client nous parla du "Père chabretaire" de Jumilhac le Grand: surnom d'un certain Veretou qui jouait là-bas, jadis. Notre enquête se déplaça donc à Jumilhac. La nièce du vieux joueur de cornemuse nous offrit l'une des plus belles photos de chabretaires: Jean Veretou, "lo pai chabretaire", "Lo Becat", avec son visage tout marqué, jouait assis , saisi en pleine action au début du siècle. Nous retrouverons son instrument 20 ans plus tard.
Veretou, Buisson, Lauret: trois chabretaires, trois cornemuses observées, qui sans aucun doute provenaient d'un même atelier. Même style de fabrication, même "patte", mêmes tonalités... La suite de nos recherches devait nous mettre sur la trace d'un nombre surprenant de joueurs de cornemuses dans cette petite région. Mieux, les chabrettes retrouvées sur place confirmaient cette intuition d'un style, d'un atelier de fabrication propre à Saint-Yrieix la Perche, grosse bourgade située à 60 kilomètres au sud de Limoges, aux portes de la Corrèze... Le style "St-Yrieix" était né.
Ceci se passait en 1978, 1979. Les années qui suivirent apportérent bien d'autres informations. Pour nous, la question était alors: que reste-t-il de la chabrette limousine à Saint-Yrieix ? Aujourd'hui, le symbole historique est fort: c'est à Paris, mais c'est aussi à Saint-Yrieix que 20 ans plus tard nous offerte l'occasion de réunir dans une Exposition les plus beaux instruments retrouvés, de faire entendre par des concerts le renouveau de cette cornemuse. Et de désigner Saint-Yrieix comme une place importante de la cornemuse en Limousin, un siècle après les concours de chabretaires, vingt ans après nos aventureuses recherches.


1892: Les concours de chabretaires
Le travail d'archives que Jean-Luc Matte , un jeune chabretaire, entreprit alors, a permis de mettre à jour un nombre important de "concours de chabrette" ou "musette" à Saint-Yrieix et dans les environs à la fin du XIXème siècle : au moins 14 concours étaient signalés par la presse locale entre 1892 et 1910 pour cette seule ville . Mais les articles de presse restaient avares en noms de musiciens. Fallait-il en conclure que les participants étaient toujours les mêmes Bordas, Fouetillou et Brachet et dont les noms revenaient souvent? Notre intuition, et notre désir, nous avaient préparé à la découverte d'un grand nombre d'instrumentistes: de si beaux instruments ne pouvaient être isolés, ils s'inscrivaient forcément dans une pratique intense, dans une tradition ancienne. Les résultats des concours n'étant pas toujours publiés, et l'ensemble des chabretaires ne se présentant pas à ces joutes musicales, seul une vérification sur le terrain, dans les lieux-mêmes cités par les articles, pouvaient nous donner une réponse. L'enquête de terrain nous confirma cette intuition, mettant à jour une étonnante densité de chabretaires pour une aussi petite région. Et ce style local de fabrication, que nous avions donc nommé "Atelier de Saint-Yrieix", s'enrichit très vite de nombreux modèles supplémentaires.

Voici les chabretaires recensés par notre enquête de l'époque.
Chabretaires des environs de Saint-Yrieix-la-Perche vers 1900.
  • Astier du Moulin de Peyrussat de Bussière-Galant. 1864-1946
    Bazuel de Puychaugas. ca 1930.
    Bessou de Lubersac. Avant 1900
    Boutot de Pompadour. ca 1902.
    Bonnet d'Archayaux de Glandon. ca 1914
    Bordas de Marcognac, Papesoleil, Saint-Yrieix. ca 1920
    Bouchardie de La Jarousse. 1845- ca 1925
    Brachet de Saint-Yrieix. ca 1860-ca 1926
    Buisson de Saint-Yrieix. 1867-1959
    Aubin Chatufaud de La Chabanie de Glandon. ca 1844- ca1928
    Courdeau du Mazaudran de Buusière-Galant. ca 1910
    Doussaud de Troche. ca 1903
    Fayolles de Lubersac. Avant 1900
    Fouetillou de Saint-Yrieix .ca 1906
    Germain de Lacolavigne, Sarrazac. 1861-1946
    Golfier de Lons de Concèze 1887-1928
    Gorse de Frougeix, Coussac-Bonneval. 1864-1919
    Jarri de La Plantade, Coussac-Bonneval. 1860-1949
    Labrunie de Bussière-Galant. 1871-1938
    Lauret de Saint-Yrieix. ca 1930
    Léonard de Lubersac. ca 1905
    "Lo mau conten" des Bressailles, Meuzac. Avant 1914
    Gautier Martin de St Julien le Vendômois . 1820-1900
    Jean Martin de St Julien le Vendômois . 1858-1932
    Maux du Moulin du Châtenet, La Chapelle Anti. 1843-1930
    Pécou de Laps. ca 1910
    Jean Veretou de Bourdoux de Jumilhac le Grand. 1875-1958
    Nous ne mentionnons pas ici les chabretaires exerçant plus au nord en Haute-Vienne, tels les Gavinet de La Roche-l'Abeille, ou Pradeau dit "Lo Jai", rattachés aux musiciens de "La Besse" et à l'aire de Chateau-Chervix.

Que restait-il des chabretaires de Saint-Yrieix en 1979-1981? De nombreux souvenirs d'abord.Des mélodies. Des photos parfois. Des instruments aussi.
Bordas, par exemple, qui remporta les concours de 1902 et 1903, fut évoqué pour nous par un accordéoniste, M. Auxerre à Angoisse, qui nous joua quelques airs de ce chabretaire. Il était connu également par le chabretaire Camillou Gavinet, qui nous apprit que son grand-père Charles avait fabriqué une chabrette pour Bordas.
Brachet était fac-totum à l'Hôtel de Ville de Saint-Yrieix, et n'hésitait pas à jouer pour les mariages.
Lauret accompagnait les boeufs gras du Carnaval dans les rues de St Yrieix.
Buisson fut le dernier chabretaire de St Yrieix, où il laissa un souvenir très vif. Marchand de bois, amuseur du village, il créa même une petite troupe folklorique avant la guerre de 1939. Nous avons aussi recueilli quelques mélodies qu'il jouait.
Veretou, dont nous n'avons possédé longtemps qu'une magnifique photo, avant de retrouver sa chabrette en 1996, était surnommé "Lo Becat".
Jarri, dont la chabrette lui fut "donnée à sa mort", c'est-à-dire déposée dans son cercueil, tout comme le hautbois de chabrette du père Bazuel.
Gorse qui remporta le célèbre concours de Juillac de 1903, immortalisé par une carte postale. Il y figure soufflant dans un bag-pipe écossais, qui était le premier prix du concours. Le chabretaire à ses côtés, jouant de la limousine, est Doussaud de Troche.
Plusieurs chabrettes ont été retrouvées, ayant appartenu à certains de ces musiciens:
Celles de Astier, Bazuel, Bonnet, Buisson, Golfier, Gorse, Labrunie, Lauret, Veretou ont été conservées par les familles, et nous avons pu les observer. Certaines sont conservée dans des musées en Angleterre, aux Etats-Unis. Certaines nous sont connues par des photographies, telles celles de Doussaud, de Jarri, ou du chabretaire Aubin Combrouze, présent lors du fameux "mariage à Ligoure" photographié par Le Plaix en 1906. A une exception près (Gorse), ces instruments sont strictement du même style, et sortent d'un même atelier, sont l'oeuvre d'un seul artisan. Son nom nous reste inconnu. Nous savons que Gautier Martin (1820-1900) fabriqua des chabrettes à Saint-Julien le Vendômois, mais en l'absence d'instrument conservé par sa famille, nous ne pouvons rien dire de plus. En l'absence aussi de toute signature sur les instruments, le maître-artisan des chabrettes de Saint-Yrieix reste à ce jour anonyme.
Le plus surprenant reste le nombre de chabrettes anciennes retrouvées, que nous pouvons attribuer à un seul fabricant. C'est lui qui anima cet "atelier de St Yrieix", nous laissant à ce jour 24 instruments.

© Eric Montbel, 1999. Mel : eric.montbel@wanadoo.fr

Pour voir quelques chabrettes de St Yrieix cliquez ici

 

 

 

 

Chabrette de Lauret. St-Yrieix-la Perche.

 


Le Chabretaire Buisson de St-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne)

 


Le Chabretaire Jean Veretou de Jumilhac (Dordogne)





Boîtier de chabrette ( Bonnet de Glandon).

 


Aubin Combrouze. Ligoure 1906