Cet article est extrait du Catalogue de l'Exposition :

Souffler c'est Jouer. Chabretaires et Cornemuses à miroirs en Limousin (Modal Editions / CRMTL, 1999)

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"Cornemuses"en Limousin ? Toutes des "chabretas"
Eric Montbel


Les cornemuses présentées ici sont nommées, depuis leur mise en lumière par le mouvement du "Revival", les "chabrettes limousine" ou "cornemuses à miroirs". Mais n'oublions pas que d'autres cornemuses ont été jouées en Limousin, relevant d'un autre type organologique. Dans les départements de la Corrèze, de la Creuse et de la Haute-Vienne, bien d'autres instruments ont été utilisés au XIXème siècle et auparavant sans doute: musettes Béchonnet, musettes de type bourbonnais ou berrichon, cabrettes auvergnates et parisiennes.
Sur le plan linguistique, plusieurs termes servent à désigner la cornemuse en Limousin, au fil des siècles .
Le mot "chabreta" semble le plus ancien, puisqu'on le rencontre dès le XVIème siècle. Le mot "cornemuse" apparaît au XVIIème siècle, silmutanément au mot "musette". "Les hautbois" semble aussi désigner cet instrument dans divers documents manuscrits de l'époque. Au XIXème siècle, quelques érudits signalent le mot "charmela", et donc "charmelaire" pour celui qui en joue, mots que l'on retrouve aujourd'hui encore dans les Monts d'Ambazac. "Chabrette", francisation du mot occitan qui semble en usage dès le XVIème, se généralise au XIXème siècle.
Pour notre part, nous avons recueilli quelques termes supplémentaires pour désigner la cornemuse en Limousin. Le fameux chabretaire de Limoges François Denis, qui vécut jusqu'à la dernière guerre, parlait du "jeu bessier" pour désigner les cornemuses de la Besse, petit pays compris entre Bourganeuf et Eymoutiers: c'était ainsi qu'il désignait les cornemuses à miroirs, leur attribuant un lieu d'origine précis. Le chabretaire Louis Jarraud parle des "parisiennes" pour désigner les cabrettes à soufflet qu'il utilise, et qui furent beaucoup jouées autour de St Germain les Belles (87) dans son enfance.
Enfin, nous avons recueilli le mot "empenha" pour désigner la cornemuse toute entiére, en Corrèze, alors que ce terme occitan est en général réservé au boîtier de l'instrument. On fera l'observation d'une similitude phonétique entre "empenha" et "zampogna", à une époque où les musiciens de Calabre faisaient le tour le l'Europe. Aujourd'hui les jeunes chabretaires parlent volontiers de "la limousine": "jouer de la limousine", c'est jouer de la cornemuse à miroirs.
Tous ces mots ont servi et servent encore à désigner les cornemuses en Limousin, quelles qu'elles soient. Il n'était pas rare du reste qu'un chabretaire ait joué plusieurs types d'instruments successivement. Ces cornemuses différentes étaient présentes sur un même territoire. La diffusion par catalogues (Pajot, Nigoud, Pimpard) et par magasins de musique, à la fin du XIXème siècle, a amplifié ce mouvement de mise en concurrence. Les "cabrettes" à soufflet parisiennes, vendues à Limoges, sont apparues rapidement comme plus pratiques et fonctionnelles que les vieux instruments fabriqués localement.
La célèbre photo du concours de Juillac en 1905, qui met en scène les vainqueurs, illustre cette diversité : cornemuse à miroirs, cabrette parisienne, Highland Pipes : pourtant ce sont toutes des "chabrettes"...

© Eric Montbel, 1999. Mel : eric.montbel@wanadoo.fr


Joueur de grande chabrette par Boichard. Gravure, XIXème siècle.


Santons, églises de St Paul d'Eyjeaux et Vicq-sur-Breuilh, Haute-Vienne. XVIIIème siècle.