Cet article est extrait du Catalogue de l'Exposition :

Souffler c'est Jouer. Chabretaires et Cornemuses à miroirs en Limousin (Modal Editions / CRMTL, 1999)

Pour commander le Catalogue cliquez ici


QUELQUES FABRICANTS-CHABRETAIRES. Eric Montbel

Ces recherches ont été menées par Eric Montbel, avec la collaboration des luthiers Thierry Boisvert et Claude Girard.

Instruments anciens, morceaux de cornemuses retrouvés, photographies de chabretaires : c'est près de 123 cornemuses à miroirs que nous avons pu observer depuis 1974, début de nos recherches. Cette collecte longue d'informations (qui a donné lieu à un Mémoire de l'Ecole des Hautes Etudes en Science Sociales : "Cornemuses en Limousin. Essai sur un corpus d'instruments de musique" EHESS 1989), nous a permis de définir plusieurs styles de fabrications, plusieurs écoles, et enfin de désigner avec certitude quelques fabricants pour le XX° siècle. La fabrication des cornemuses à miroirs s'enracine dans le XVII° siècle, comme nous l'avons montré par ailleurs (voir l'article : cornemuses, miroirs, mémoire).

Chronologiquement les instruments de ce type les plus anciens seraient donc les grandes cornemuses à miroirs conservées dans divers musées aujourd'hui (Musée de Montluçon, Cité de la Musique de Paris-Musée de la Musique notamment), et dont un exemplaire est marqué "IEAN".

Quelques Grandes Cornemuses à miroirs, cliquez ici

Viendraient ensuite, peut-être, les petites cornemuses du Périgord, très proches des "chabretas" du Limousin, et qui sont antérieures à 1840 puisqu'un exemplaire de ce modèle est entré au Musée de Périgueux à cette date.

Nous nommons "Premier Atelier de Limoges" un style de chabrettes dont les décors sont particulièrement riches, et les références religieuses explicites. L'instrument-type de cette école est la chabrette Morange, dont nous savons qu'elle fut utilisée au XVIII° siècle. Ou bien encore la chabrette du Musée de Londres qui porte la date manuscrite de 1782.

Quelques chabrettes du Premier Atelier de Limoges, cliquez ici

Le "Second Atelier de Limoges" semble s'inspirer de cette facture et de ce style, qui lui seraient donc antérieurs de quelques dizaines d'années sans doute. Toutefois les référents symboliques sont plus dilués, et la "patte" de l'artisan bien différente quoi qu'immédiatement identifiable. Cet atelier pourrait prendre place dans la première moitié du XIX° siècle.

Quelques chabrettes du Second Atelier de Limoges, cliquez ici

L 'Atelier de Saint-Yrieix pourrait lui être contemporain. Une localisation autour de la ville de Saint-Yrieix-la-Perche (87) semble établie, mais nous ne sommes pas en mesure d'identifier un ou plusieurs artisans , sans doute entre 1820 et 1870.

Quelques chabrettes de l'Atelier de Saint-Yrieix, cliquez ici

LOUIS MAURY
Avec cet artisan, nous avançons en terrain un peu plus sûr. Comme pour les tableaux de maîtres anciens, nous identifions dans le cas des chabrettes de Louis Maury des fabrications incontestables. Nous savons peu de choses sur ce fabricant : un ancien chabretaire le nomme pour nous en 1979, et le décrit comme un facteur de chabrettes et de violons de première force. Il vivait à Glanges, au hameau de Theillomas. Le recensement de 1891 le désigne comme "cultivateur, âgé de 49 ans". Né en 1842, il est plus âgé d'une génération que Chabrely de Reirol, dont nous connaissons avec certitude plusieurs instruments. Ainsi une chabrette de Chabrely porte la date de juin 1880. Il faut bien que Felix Chabrely ait appris quelque part et avec quelqu'un, pour produire à 23 ans un instrument d'une facture aussi maîtrisée. Nous retrouverons quelques années plus tard une chabrette portant l'inscription "Louis Maury"... Les instruments de son style ont été essentiellement retrouvés autour de St-Bonnet-Briance (87) : Linards, Saint-Genest, Theillomas, Pierre-Buffière, Magnac-Bourg... mais aussi en Dordogne, à Paris et au Musikmuseet de Stockholm. Ces cornemuses sont restées très homogènes, intègres. 23 chabrettes attribuées à Louis Maury ont été retrouvées à ce jour.

Quelques chabrettes de Louis Maury, cliquez ici

FELIX-PIERRE CHABRELY
Pierre "Felix" Chabrely (1857-1939) vécut à Reirol, commune de Saint-Bonnet-Briance (87). Propriétaire terrien, sa famille est implantée depuis plusieurs générations sur les domaines de Luchat et de Reirol. Il abandonne le Séminaire en 1875, rejoint le domaine familial. Il fabrique une de ses premières chabrettes en 1880. Cet instrument, présenté ici, apporte de nombreuses informations. D'une facture bien maîtrisée, il s'inspire en tous points du style d'un autre facteur : Louis Maury de Glanges, son voisin, auquel nous attribuons de nombreuses chabrettes retrouvées.
Cette cornemuses est recouverte d'inscriptions :" Moulinard, Moulinard à Eyjeaux, Le 2 juin 1880, Fait en 1880" peut-on lire sur le hautbois, le boîtier et le petit bourdon. Elle fut offerte en cadeau de mariage au jeune Louis Moulinard, qui se maria en effet le 22 juin 1880. Chabrely avait 23 ans, Moulinard 22, Louis Maury 38 ans. Plusieurs chabrettes de Chabrely nous sont parvenues : la plupart sont de la même manière marquées, signées, datées. C'est le nom du chabretaire, du propiétaire donc, qui apparaît le plus souvent : Louis Vigneron à Nontion, Arnaud à Reirol, Relhac, Chabrely à Luchat. Si Chabrely reste fidèle au modéle hérité de son ami Louis Maury, son originalité tient à l'emploi très personnel qu'il fit de l'inscription manuscrite, sur ses instruments. L'écriture, liée, réalisée à la potasse, réagit sur l' acide dont le buis est teinté. Le fabricant laisse une trace littéraire, une signature cultivée. Cette notion de "marque", qui renvoit aux luthiers et facteurs professionnels, apparait avec lui, pour les chabrettes du Limousin. Aucun instrument d'une autre facteur n'est signé, à l'exception d'une chabrette marquée "Louis Maury", et du fameux hautbois "iean".

Quelques chabrettes de Pierre-Felix Chabrely, cliquez ici

FRANçOIS DENIS
François Denis (1866-1946) de Limoges, fut un fabricant, un bricoleur facétieux, et l'un des derniers joueurs de "chabreta" de Limoges.
Longtemps valet de chambre, il suivit ses employeurs à Paris et en Dordogne, pour revenir à Limoges et dans son faubourg de Feytiat, où il passa toute sa vie.
Plusieurs chabrettes de sa collection ont été retrouvées. Sa famille en conservait six, ainsi qu'un matériel important fait de hautbois, de boîtiers, de bourdons disparates. Il semble qu'il ait fabriqué peu d'instruments complets, mais qu'il ait beaucoup "bricolé": il a surtout "monté" des chabrettes, comme il le disait lui-même. "Monter une chabrette" était une opération essentielle : un jeu créatif, plastique, consistant à reconstituer un instrument complet, à partir de morceaux épars, récupérés sur d'autres chabrettes retrouvées. Aucune des cornemuses passées entre ses mains n'est homogène. Toutes sont composées, re-composées, à partir de pièces attribuables à divers fabricants. François Denis puisait dans un stock important d'instruments, correspondant à la disparition des derniers joueurs de chabrette à Limoges. Parcequ'il était gaucher, on retrouve bon nombre de chabretas "montées à l'envers", signe parmi d'autres, qu'elles sont passées entre ses mains.
C'est par l'ironie, la transgression que Denis s'inscrit dans une forme de tradition. Ses instruments sont parfois décorés de bagues de laiton de plomberie, de morceaux de manche à parapluie, de plaques publicitaires...
André Pangaud a transmis beaucoup de souvenirs, des mélodies, des anecdotes. Parmi ceux-ci, le nom que Dnis donnait aux "chabrettes limousines" en opposition aux "cabrettes parisiennes": il prétendait avoir le "jeu bessier", c'est-à-dire jouer sur les cornemuses de la Besse, région comprise entre Eymoutiers et Bourganeuf ... mémoire d'un autre temps, dont nous ne savons encore que faire. Et voici la liste des chabretaires de Limoges, liste donnée à André Pangaud : Jabet, Beulet, Brachet, Béjard, Marquet, Gabirou, Bouyer, Barret, Faurilloux, Lameau, Lamarche, "lo Gran Piari"...

Quelques chabrettes de François Denis, cliquez ici

ELIE BEJARD
Elie Béjard (1870-1960) est né à Dournazac en Dordogne. Il vécut à Limoges, où il fut fabricant de chaises, mais il fut aussi un grand voyageur: au retour de son service militaire en Tunisie, il suivit un cirque rencontré à Marseille, et fit le tour d'Europe comme musicien. Nous connaissons quelques chabrettes de sa fabrication, dont celle qu'il possédait à la fin de sa vie, celle dont il joue sur sa dernière photo. On le voit sur une photo de groupe, en compagnie d'un autre chabretaire-fabricant, François Denis, au début du siècle à Limoges : des chabretaires citadins...

Quelques chabrettes de Elie Béjard , cliquez ici

Quelques chabrettes de fabricant inconnu, cliquez ici


© Eric Montbel, 1999. Mel : eric.montbel@wanadoo.fr

 

Chabrette fabriquée par Elie Béjard

 

 


François Denis de Limoges

Une chabrette de François Denis

Felix Chabrely de Reirol

La chabrette de Felix Chabrely signée et datée "1880"

Boitier de Louis Maury

Elie Béjard de Limoges