QUELQUES FABRICANTS-CHABRETAIRES.
Eric Montbel
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Ces
recherches ont été menées par Eric
Montbel, avec la collaboration des luthiers Thierry Boisvert
et Claude Girard.
Instruments
anciens, morceaux de cornemuses retrouvés, photographies
de chabretaires : c'est près de 123 cornemuses à
miroirs que nous avons pu observer depuis 1974, début
de nos recherches. Cette collecte longue d'informations
(qui a donné lieu à un Mémoire de l'Ecole
des Hautes Etudes en Science Sociales : "Cornemuses
en Limousin. Essai sur un corpus d'instruments de musique"
EHESS 1989), nous a permis de définir plusieurs styles
de fabrications, plusieurs écoles, et enfin de désigner
avec certitude quelques fabricants pour le XX° siècle.
La fabrication des cornemuses à miroirs s'enracine
dans le XVII° siècle, comme nous l'avons montré
par ailleurs (voir l'article :
cornemuses, miroirs, mémoire).
Chronologiquement
les instruments de ce type les plus anciens seraient donc
les grandes cornemuses à miroirs conservées
dans divers musées aujourd'hui (Musée de Montluçon,
Cité de la Musique de Paris-Musée de la Musique
notamment), et dont un exemplaire est marqué "IEAN".
Quelques
Grandes Cornemuses à miroirs, cliquez ici
Viendraient
ensuite, peut-être, les petites cornemuses du Périgord,
très proches des "chabretas" du Limousin,
et qui sont antérieures à 1840 puisqu'un exemplaire
de ce modèle est entré au Musée de
Périgueux à cette date.
Nous
nommons "Premier Atelier de Limoges" un style
de chabrettes dont les décors sont particulièrement
riches, et les références religieuses explicites.
L'instrument-type de cette école est la chabrette
Morange, dont nous savons qu'elle fut utilisée au
XVIII° siècle. Ou bien encore la chabrette du
Musée de Londres qui porte la date manuscrite de
1782.
Quelques
chabrettes du Premier Atelier de Limoges, cliquez ici
Le
"Second Atelier de Limoges" semble s'inspirer
de cette facture et de ce style, qui lui seraient donc antérieurs
de quelques dizaines d'années sans doute. Toutefois
les référents symboliques sont plus dilués,
et la "patte" de l'artisan bien différente
quoi qu'immédiatement identifiable. Cet atelier pourrait
prendre place dans la première moitié du XIX°
siècle.
Quelques
chabrettes du Second Atelier de Limoges, cliquez ici
L
'Atelier de Saint-Yrieix pourrait lui être contemporain.
Une localisation autour de la ville de Saint-Yrieix-la-Perche
(87) semble établie, mais nous ne sommes pas en mesure
d'identifier un ou plusieurs artisans , sans doute entre
1820 et 1870.
Quelques
chabrettes de l'Atelier de Saint-Yrieix, cliquez ici
LOUIS
MAURY
Avec cet artisan, nous avançons en terrain un peu
plus sûr. Comme pour les tableaux de maîtres
anciens, nous identifions dans le cas des chabrettes de
Louis Maury des fabrications incontestables. Nous savons
peu de choses sur ce fabricant : un ancien chabretaire le
nomme pour nous en 1979, et le décrit comme un facteur
de chabrettes et de violons de première force. Il
vivait à Glanges, au hameau de Theillomas. Le recensement
de 1891 le désigne comme "cultivateur, âgé
de 49 ans". Né en 1842, il est plus âgé
d'une génération que Chabrely de Reirol, dont
nous connaissons avec certitude plusieurs instruments. Ainsi
une chabrette de Chabrely porte la date de juin 1880. Il
faut bien que Felix Chabrely ait appris quelque part et
avec quelqu'un, pour produire à 23 ans un instrument
d'une facture aussi maîtrisée. Nous retrouverons
quelques années plus tard une chabrette portant l'inscription
"Louis Maury"... Les instruments de son style
ont été essentiellement retrouvés autour
de St-Bonnet-Briance (87) : Linards, Saint-Genest, Theillomas,
Pierre-Buffière, Magnac-Bourg... mais aussi en Dordogne,
à Paris et au Musikmuseet de Stockholm. Ces cornemuses
sont restées très homogènes, intègres.
23 chabrettes attribuées à Louis Maury ont
été retrouvées à ce jour.
Quelques
chabrettes de Louis Maury, cliquez ici
FELIX-PIERRE
CHABRELY
Pierre "Felix" Chabrely (1857-1939) vécut
à Reirol, commune de Saint-Bonnet-Briance (87). Propriétaire
terrien, sa famille est implantée depuis plusieurs
générations sur les domaines de Luchat et
de Reirol. Il abandonne le Séminaire en 1875, rejoint
le domaine familial. Il fabrique une de ses premières
chabrettes en 1880. Cet instrument, présenté
ici, apporte de nombreuses informations. D'une facture bien
maîtrisée, il s'inspire en tous points du style
d'un autre facteur : Louis Maury de Glanges, son voisin,
auquel nous attribuons de nombreuses chabrettes retrouvées.
Cette cornemuses est recouverte d'inscriptions :"
Moulinard, Moulinard à Eyjeaux, Le 2 juin 1880, Fait
en 1880" peut-on lire sur le hautbois, le boîtier
et le petit bourdon. Elle fut offerte en cadeau de mariage
au jeune Louis Moulinard, qui se maria en effet le 22 juin
1880. Chabrely avait 23 ans, Moulinard 22, Louis Maury 38
ans. Plusieurs chabrettes de Chabrely nous sont parvenues
: la plupart sont de la même manière marquées,
signées, datées. C'est le nom du chabretaire,
du propiétaire donc, qui apparaît le plus souvent
: Louis Vigneron à Nontion, Arnaud à Reirol,
Relhac, Chabrely à Luchat. Si Chabrely reste fidèle
au modéle hérité de son ami Louis Maury,
son originalité tient à l'emploi très
personnel qu'il fit de l'inscription manuscrite, sur ses
instruments. L'écriture, liée, réalisée
à la potasse, réagit sur l' acide dont le
buis est teinté. Le fabricant laisse une trace littéraire,
une signature cultivée. Cette notion de "marque",
qui renvoit aux luthiers et facteurs professionnels, apparait
avec lui, pour les chabrettes du Limousin. Aucun instrument
d'une autre facteur n'est signé, à l'exception
d'une chabrette marquée "Louis Maury",
et du fameux hautbois "iean".
Quelques
chabrettes de Pierre-Felix Chabrely, cliquez ici
FRANçOIS
DENIS
François Denis (1866-1946) de Limoges, fut
un fabricant, un bricoleur facétieux, et l'un des
derniers joueurs de "chabreta" de Limoges.
Longtemps valet de chambre, il suivit ses employeurs à
Paris et en Dordogne, pour revenir à Limoges et dans
son faubourg de Feytiat, où il passa toute sa vie.
Plusieurs chabrettes de sa collection ont été
retrouvées. Sa famille en conservait six, ainsi qu'un
matériel important fait de hautbois, de boîtiers,
de bourdons disparates. Il semble qu'il ait fabriqué
peu d'instruments complets, mais qu'il ait beaucoup "bricolé":
il a surtout "monté" des chabrettes, comme
il le disait lui-même. "Monter une chabrette"
était une opération essentielle : un jeu créatif,
plastique, consistant à reconstituer un instrument
complet, à partir de morceaux épars, récupérés
sur d'autres chabrettes retrouvées. Aucune des cornemuses
passées entre ses mains n'est homogène. Toutes
sont composées, re-composées, à partir
de pièces attribuables à divers fabricants.
François Denis puisait dans un stock important d'instruments,
correspondant à la disparition des derniers joueurs
de chabrette à Limoges. Parcequ'il était gaucher,
on retrouve bon nombre de chabretas "montées
à l'envers", signe parmi d'autres, qu'elles
sont passées entre ses mains.
C'est par l'ironie, la transgression que Denis s'inscrit
dans une forme de tradition. Ses instruments sont parfois
décorés de bagues de laiton de plomberie,
de morceaux de manche à parapluie, de plaques publicitaires...
André Pangaud a transmis beaucoup de souvenirs, des
mélodies, des anecdotes. Parmi ceux-ci, le nom que
Dnis donnait aux "chabrettes limousines" en opposition
aux "cabrettes parisiennes": il prétendait
avoir le "jeu bessier", c'est-à-dire jouer
sur les cornemuses de la Besse, région comprise entre
Eymoutiers et Bourganeuf ... mémoire d'un autre temps,
dont nous ne savons encore que faire. Et voici la liste
des chabretaires de Limoges, liste donnée à
André Pangaud : Jabet, Beulet, Brachet, Béjard,
Marquet, Gabirou, Bouyer, Barret, Faurilloux, Lameau, Lamarche,
"lo Gran Piari"...
Quelques
chabrettes de François Denis, cliquez ici
ELIE
BEJARD
Elie Béjard (1870-1960) est né à
Dournazac en Dordogne. Il vécut à Limoges,
où il fut fabricant de chaises, mais il fut aussi
un grand voyageur: au retour de son service militaire en
Tunisie, il suivit un cirque rencontré à Marseille,
et fit le tour d'Europe comme musicien. Nous connaissons
quelques chabrettes de sa fabrication, dont celle qu'il
possédait à la fin de sa vie, celle dont il
joue sur sa dernière photo. On le voit sur une photo
de groupe, en compagnie d'un autre chabretaire-fabricant,
François Denis, au début du siècle
à Limoges : des chabretaires citadins...
Quelques
chabrettes de Elie Béjard , cliquez ici
Quelques
chabrettes de fabricant inconnu, cliquez ici
©
Eric Montbel, 1999. Mel : eric.montbel@wanadoo.fr
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Chabrette
fabriquée par Elie Béjard
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François Denis de Limoges
Une
chabrette de François Denis
Felix
Chabrely de Reirol
La
chabrette de Felix Chabrely signée et datée
"1880"
Boitier
de Louis Maury
Elie
Béjard de Limoges
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