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|
Interview
de Eric Montbel par Guillaume Veillet dans Trad'Mag, juillet 2002.
Guillaume
Veillet : Le Jardin des Mystères est-il plutôt une création
ou un groupe à part entière ?
Eric Montbel
: Le Jardin des Mystères était avant tout un projet
discographique : je voulais proposer une suite au Jardin de lAnge,
notre création précédente, qui était consacrée
aux chants populaires chrétiens. Dabord parce que limage
trop gentille des chansons religieuses commençait à me peser
un peu, ensuite parce que le répertoire religieux lui-même
suggère les thèmes illustrés dans le Jardin des Mystères,
version faits divers : crime, passion, rédemption. Cest déjà
très sanglant; parfois érotique, en tous cas amoureux. Donc
le chemin était déjà tracé. Le disque réunit
beaucoup de monde, alors que la version spectacle est limitée aux
interprètes du Jardin de lAnge, Sylvie Berger, Marie Rigaud,
Elsa (ma fille aînée) au chant , Laurence Charrier à
lharmonium, Richard Monségu aux percussions, auxquels se
sont joints André Ricros au chant et Jean-Claude Mathon, un comédien
qui conduit le public ; et je joue les cornemuses, clarinettes de roseau
et les flûtes. Le thème essentiel qui traverse le Jardin
des Mystères, cest celui de la mort violente sous toutes
ses formes : suicide, assassinat, parricide, fratricide, châtiment,
avec souvent une touche de fantastique, comme dans la célèbre
" Serpent Verte". Jai toujours été frappé
par le plaisir que prenaient les vieux chanteurs que jai pu rencontrer,
à aborder ce genre de répertoire. Cest léquivalent
des modernes faits divers, et bien sûr en littérature les
ancêtres du polar et de la Série Noire.
Peut-on
voir le Jardin des Mystères comme le "côté obscur"
du Jardin de lAnge ? Le public et les lieux de concert sont-ils
les mêmes ?
Oui, cest
exactement ça, nous sommes allés chercher le côté
obscur des complaintes populaires, quelles soient religieuses ou
criminelles. Cest devenu un spectacle, un groupe, lorsque nous avons
eu lidée denregistrer ce CD dans le Château de
Chazey, dans lAin. Cest un château médiéval
réhabilité au XIXème siècle, un vrai décor
de film. Les propriétaires successifs ( un banquier, un aviateur,
une baronne polonaise) lont décoré en " vrai-château-du-Moyen-Age
", plus vrai que nature. En se promenant là-dedans on a limpression
dêtre dans le film de Cocteau, la Belle et la Bête.
Cest Marie Rigaud, qui chante avec nous et qui dirige le Festival
de Pérouges, qui a découvert ce lieu génial. Nous
y sommes restés plusieurs semaines, car le disque sest fait
par étapes. Donc on a eu le temps dexplorer chaque pièce
; certaines chambres semblent sortir de cauchemars, dautres de rêves
plus légers. Donc lidée est venue de promener le public
dans le château, avec nous, et de proposer pour chaque lieu des
chansons appropriées. Javais fait cela déjà
avec le metteur-en-scène André Fornier au Fort de Bron,
voici quelques années, pour une adaptation de Roméo et Juliette,
et le souvenir en était intense. Bien sûr les lieux sont
différents ; le Jardin de lAnge prend sa magie dans une église
ou une chapelle, éclairées en clair-obscur. Le Jardin des
Mystères est adapté à des châteaux, des lieux
plus étranges ou décalés. Par exemple lorsque nous
avons donné le Jardin des Mystères à LOpéra
de Lyon, le directeur de lAmphithéâre, François
Postaire, a vraiment joué le jeu et nous a permis de nous installer
dans les décors de Lucia di Lammermoor, sur la grande scène.
Le public était assis dans les coulisses, et avait pour fonds décran
la grande salle de lOpéra, vide. Cétait assez
magique ; ensuite nous les avons promenés dans lOpéra,
et le spectacle sest terminé de façon plus classique
dans lAmphithéâtre : près de deux heures de
déambulation. Donc les lieux sont toujours à explorer, et
à investir, à découvrir avec un regard différent.
Par contre le public nest pas vraiment le même : pour le Jardin
de lAnge nous touchons des amateurs de musique ancienne, ou de musique
classique. Le Jardin des Mystères est clairement destiné
à un public plus large, plus littéraire, qui écoute
comme nous depuis longtemps les groupes anglais ou américains qui
brillent dans ce genre musical, de Dead Can Dance à Nick Cave,
ou Loreena MacKennit dans un registre folk. Et surtout un public qui comprend
bien la distance que lon peut mettre avec le premier degré
des textes, qui sont à envisager sous langle (évidemment)
de la poésie et du roman.
L'ambiance
est très importante pour un concert du Jardin des Mystères,
je suppose ?
Oui, et cest amusant de voir une partie du public arriver avec un
look étudié. A lOpéra nous avions un type tout
en cape et en bottes, canne à pommeau dargent, très
" Dracula vous rend visite " ! Un couple aussi est venu me voir
à la fin du spectacle et ma déclaré que certaine
chansons parlaient de leur histoire à eux , ils avaient lair
ravis
moi jai trouvé ça un peu étrange
!
Le Jardin de lAnge avait entre autres l'intérêt de
faire découvrir un répertoire pas très populaire
au sein du mouvement folk. Le répertoire du Jardin des Mystères
est mieux connu. Est-ce un choix délibéré ?
Oui, le répertoire religieux du Jardin de lAnge méritait
dêtre réhabilité. Pour Millien, le collecteur
Nivernais que nous avons beaucoup utilisé, ou pour Casse et Chaminade
en Périgord, ces répertoires représentaient un part
importante de leur collecte. Mais notre génération anticléricale
et saturée de religion catholique a eu beaucoup de défiance,
pendant longtemps, pour ces chants. A y regarder de plus près,
la poésie y est sublime, les mélodies extraordinaires, comme
celle de " La Madeleine " que nous avions déjà
enregistrée avec Lo Jai il y a fort longtemps. Noëls, cantiques,
légendes religieuses, tout cela forme un répertoire cohérent,
qui délivre un évident message de bonté, et damour
tout simplement. Donc les valeurs positives de ces chansons lont
vite emporté lorsque nous avons commencé à travailler
dessus, Sylvie Berger, Laurence et moi. Pour le Jardin des Mystères
ce fut moins évident, dabord parce que ce répertoire
est en effet mieux connu, il fut même lun des fondements du
revival folk des années 70. Mais jaimais bien lidée
dintervenir surtout comme arrangeur, à la façon dun
directeur de film. Je joue assez peu sur ce disque, moins que Laurence
à lharmonium par exemple ou Richard Monségu, (percussionniste).
Mais jai pu imaginer les arrangements en fonction des ambiances
et du caractère de chacun, avec limmense privilège
de travailler avec des chanteurs que jadmire depuis longtemps, comme
Gabriel Yacoub, Jean-François Dutertre ou André Ricros.
Et puis bien sûr la complicité totale de Pascale Cacouault,
lingénieur du son, avec qui je fais tous mes disques depuis
10 ans, les miens comme " Chabretas ", " Ulysse ",
" Roméo et Juliette ", les deux " Jardins "
ou ceux que jai réalisés pour la collection "
Atlas Sonore Rhône-Alpes " du CMTRA.
Les vieux grimoires de collectage d'où sont tirées ces
chansons sont parfois difficiles à trouver. Comment te les es-tu
procurés ? N'y a-t-il pas quelques joyaux à rééditer
?
On trouve assez facilement les ouvrages de Millien, de Bujeaud ou de Garneret,
réédités par Lafitte à Marseille. Le corpus
de chansons françaises collectées depuis le XIXème
siècle est énorme. Ajoute à cela ce que notre génération
a recueilli, par exemple en Corrèze ou en Auvergne, où nous
avons enregistré beaucoup de chanteuse et de chanteurs avec mes
amis de Lo Jai. Ce genre de répertoire sanglant et épouvantable
se chantait encore bien, surtout la nuit
Jai toujours trouvé
cela très moderne, dabord parce que jy voyais des correspondances
avec toute une littérature sombre que jadore depuis longtemps,
et qui est même devenue un genre cinématographique.
Les arrangements de certaines chansons (ex : les Tristes Noces) ne
correspondent pas forcément à l'histoire tragique racontée.
Je me trompe ? Sinon, pourquoi ce choix ?
Oui, les arrangements de quelques chansons prennent le contre-pied de
lhistoire racontée, afin de ne pas faire du mot-à-mot
illustratif. Tu remarqueras que certaines chansons traditionnelles racontent
des histoires abominables de cadavre coupé en tranches ou décartèlement
sur des mélodies guillerettes, ce qui revient au même. Par
contre pour certains arrangements nous avons recherché, Pascal
et moi, des ambiances expressionnistes, et des univers de cinéma,
comme pour " le Garçon allemand ", " Cest
trois garçons " ou " la Blanche Biche ".
- On connaît ton travail autour des cornemuses du Limousin , entre
autres. As-tu fait du collectage de chansons ? Si oui, as-tu trouvé
des ballades et complaintes proches du répertoire et de l'ambiance
du Jardin des Mystères ?
Oui nous avons enquêté longtemps, essentiellement avec Pierre
Imbert et Christian Oller. Je me souviens de Madame Rouland, une merveilleuse
chanteuse de Corrèze, nous chantant " le vingt-cinq du mois
davril " une nuit en voiture, en revenant dune veillée,
je peux te dire que cest lune des choses les plus fantastiques
que jaie entendue. Lintimité créée, le
déroulement de la route la nuit, les bois qui défilent,
et cette voix incroyablement timbrée dune dame de 80 ans
qui raconte une histoire triste et universelle, ce sont des choses quaucune
mise en scène ne saurait rendre. Et un plaisir total.
On ne chante pas beaucoup, dans le milieu "trad" actuel.
Le regrettes-tu ? A quoi est-ce dû, à ton avis ?
Je trouve que lon ne chante pas beaucoup en français. Par
contre le chant en langue régionale, breton, corse ou occitan,
se développe formidablement. On ne compte plus les groupes polyphoniques
provençaux qui se créent ici en ce moment, en Paca, alors
quobjectivement la langue est de moins en moins parlée quotidiennement.
Si des jeunes décident de chanter dans une langue qui nest
pas forcément leur langue maternelle, plutôt quen français
alors quils vivent en France, cest quil y a un problème
que je ne peux concevoir que comme culturel et politique. Bon, il y a
un vrai problème autour du chant en français, que nos amis
programmateurs ne font quaccentuer en ne donnant pas sa chance à
ce type dexpression dans leurs saisons. Mais il ne faut pas être
grand clerc pour voir que ceci fait partie du problème général
didentité de la France, et que les dernières élections
nont fait que révéler alors quil existe depuis
fort longtemps. Je me souviens très bien de lapparition des
groupes folks dans les années 70, qui se sont constitués
justement pour répondre à lépoque à
une pseudo- hégémonie américaine. Cétait
très original de chanter en français ce type de répertoire,
de se le ré-approprier, alors que la chanson traditionnelle semblait
confisquée par le folklore, entre Yves Montand et Guy Béart.
Aujourdhui le développement des langues régionales
(y compris dans les formes musicales les plus contemporaines comme le
ragamuffin ou le hip-hop) répondent par le verbe à une pseudo
-hégémonie française, ou européenne. Cest
bien sûr une attitude politique, et je ne suis pas fâché
que lon se souvienne en effet dun seul coup que tout est politique.
Simplement la mauvaise conscience de la France et des Français,
vieille nation colonialiste, et patrie des droits de lhomme, conduit
à une dilution de la pensée identitaire en France. On souffre
encore aujourdhui du mal que Pétain a pu faire. Et puisque
les évènements récents autour de Le Pen ont soulevé
la question, qui rejoint la tienne, je crois que bien sûr, il faut
se réapproprier la chanson française, et ne pas laisser
les héritages culturels francophones, traditionnels, sendormir
de nouveau et apparaître comme des oripeaux réactionnaires.
Les autres nations dEurope nont pas ce genre de débat,
cest vraiment schizophrénique chez nous. Lidentité,
chacun se construit la sienne, à coup dinternationalisme
nord-sud ou est-ouest, doccitanité et de bretonitude, pourquoi
pas ? Je pense que ce sont de toute façon des constructions qui
permettent à chacun dêtre à laise dans
ses baskets. Moi jaime bien chanter en français des textes
populaires, dans une langue poétique qui me relie à ma propre
histoire littéraire, qui englobe Villon, Baudelaire, Rimbaud, Breton
et Apollinaire, et qui trouve ses correspondances internationales chez
Joyce, Ellroy et Easton Ellis. Bon, tu mas posé la question,
je tai donné ma réponse.
Après le Jardin de lAnge et le Jardin des Mystères,
y a-t-il un troisième jardin en préparation? (le Jardin
des Délices, le Jardin des Amours, le Jardin des Plantes)
En toute logique, nous préparons le dernier volet de la trilogie,
qui sera consacré aux chansons damour, entre courtoisie et
érotisme, et je peux te dire quil y a des merveilles. Mais
en attendant je travaille sur un disque instrumental de cornemuse quasi
solo, cest plus léger et cest plus facile à
diriger !
Propos
recueillis pour Trad'Mag par Guillaume Veillet
Le Jardin des Mystères. Nocturne 2002, NT0310.
Un disque réalisé avec laide de MFA, FCM et lADAMI.
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